Made with racontr.com

LA LANGUE DE CHEZ NOUS


Montréal serait ainsi devenu un épicentre artistique. Une marque de fabrique qui s’établit aussi bien à l’étranger qu’au Canada et au Québec. Un label que l’on colle aux artistes émergents pour concentrer les forces vives de la province et en faire leur promotion.



« J’ai toujours été de la ville de Québec, mais considéré comme un beatmaker de Montréal. Pourquoi cette étiquette ? Parce que c’est tellement trendy. »



Vlooper, beatmaker et membre du collectif hip-hop Alaclair Ensemble, sourit de l’étiquette qu’on lui colle avec facilité. Beatmakers et rappeurs participent de ce mouvement émergent aux côtés de Loco Locass, Manu Militari ou Koriass, Le collectif s’est, quant à lui, spécialisé dans des productions aux paroles délibérément absurdes qui jouent avec l’identité québécoise, sans cacher leur attirance pour l’esthétisme musical et la posture du rap américain. La vidéo est leur arme de séduction massive, et le public jeune est séduit. La scène hip-hop connaît un nouveau souffle : « Si le hip-hop au Québec se porte très bien, c’est notamment grâce aux recherchistes qui travaillent pour les émissions populaires pour la télévision et les festivals. Quand tu veux entrer dans le milieu de la musique, le premier job que tu fais, c’est recherchiste. Aujourd’hui ils ont tous notre âge, à peu près 25 ans, ils entrent dans le milieu culturel et commencent à booker des gens comme nous naturellement. »


Vlooper et son comparse, le rappeur Eman, sont à Rouyn-Noranda, au Festival de musique émergente, pour présenter leur nouveau projet : Eman X Vlooper. Ils passeront l’automne en tournée, partageant l’affiche avec Koriass et Loud Mary Ajust pour le Rap Queb’ Money Tour. Une accroche aux airs d'appellation d’origine controlée pour exporter le hip-hop hors des frontières québécoises ? « Il faut être réaliste. Il y a quelque chose de très compliqué par rapport à notre accent et à notre langue. Je ne sais pas comment les gens nous voient à l’extérieur, on est peut être vu comme des Américains. Au Québec, on parle de la protection de la langue française mais, soyons clair, ici, on parle québécois, et la langue populaire c’est le “joual”. On est très fier de ça, de cette distinction là, ces influences anglophones qu’on a ajoutées à la langue des colons français. »



« Ceux qui sauvent la chanson française, ce sont les rapeurs »



Les festivals prennent également part à cette visibilité du hip-hop québécois. Laurent Saulnier, à la tête des Francofolies de Montréal, donne une place importante à ces artistes dans sa programmation. En observant comment les francophones à travers le monde sont tentés de chanter en anglais, Saulnier contre-attaque, lance à tout va dans la presse : « Ceux qui sauvent la langue française, ce sont les rappeurs. » Premier concerné, le rappeur Eman réagit avec amusement aux propos de Laurence Saulnier, dont tout le milieu rap a eu vent : « On ne va certainement pas sauver la langue française mais je pense qu’on en préserve la poésie. J’accepte ce chapeau, de porter cette tradition orale de la langue et de la poésie qui va toujours évoluer, changer avec les années, sans aucun doute. »


Le changement suscite des résistances. Il faut dire que la polémique autour de l’anglicisation fait rage au Québec. Un chroniqueur du quotidien Le Devoir se fait une spécialité de titrer à boulets rouges sur les artistes qui chantent en « chiac », parler anglo-français principalement parlé par les jeunes générations de la province du Nouveau-Brunswick. Lisa Leblanc et le groupe Radio Radio étaient les premiers visés.

Depuis cet été, c’est le groupe de hip-hop Dead Obies qui est au centre de toutes les attentions et déchaine les passions. Sur son album Montréal $ud, le groupe revendique ses influences culturelles et linguistiques et utilise un vocabulaire métissé de joual, d’argot américain et de patois créole.


Ce qui exaspère les « défenseurs » du français international, c’est que ces musiques et ces artistes marqués de la culture populaire s’exportent aussi au delà des frontières du Québec, jusqu’en France. Indice de l’air du temps : Lisa Leblanc remporte le prix du Premier album France Inter, et Dead Obies se retrouvent programmés au festival des Transmusicales de Rennes.


Sandy Boutin, fondateur du festival de Rouyn-Noranda, confirme l’intérêt des programmateurs pour ces musiques émergentes parfois en contre-culture : « Parfois, j’ai l’impression que pour qu’un projet marche en France, il faut soit qu’il vous ressemble beaucoup, que les artistes portent un peu la même façon de chanter, (Peter Peter, Karim Ouellet, Ariane Moffatt) ou, au contraire, qu’ils soient très différents, marqués de notre folklore (les Cowboys Fringuants, Lisa Leblanc, les Hay Babies, etc.). »


Gagnant-Gagnant. Que leurs projets soient francophones ou anglophones, les Québécois et Canadiens profitent de leur multiculturalisme pour s’exporter en Amérique du Nord et en Europe. Les signes sont bien présents : les artistes émergents du Québec sont plus que jamais présents en France, jouent dans les festivals, signent auprès des maisons de disques et multiplient les apparitions dans la presse musicale. Pendant ce temps-là, les Français s'initient à la langue de là-bas, au « joual », confortablement assis dans un fauteuil de cinéma en regardant le dernier film de Xavier Dolan. Le bouillonnement artistique a bien atteint nos rivages. Bien au dessus du niveau des lacs. Emergent.